Ennéagramme et laïcité : faut-il s’inquiéter de la place donnée à une religieuse dans un rapport d’État ?
- Jordi Turc
- 11 avr.
- 4 min de lecture
En tant que formateur en Ennéagramme engagé depuis plus de dix ans dans une pratique éthique, structurée et laïque, j’ai été profondément troublé à la lecture du rapport 2025 de la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires). Non pas par le fait que l’Ennéagramme y soit évoqué — il est légitime d’examiner toutes les pratiques d’accompagnement avec rigueur — mais par la nature de la contribution retenue par l’institution publique.
La seule voix citée à propos de l’Ennéagramme est celle d’Anne Lécu, religieuse dominicaine, médecin et autrice. Elle y signe une contribution très critique intitulée “Les risques liés à l’Ennéagramme”, d’une tonalité totalement à charge, sans nuance, et sans mise en débat contradictoire.

Une tribune à charge… sans base scientifique
Dans ce texte, l’Ennéagramme est qualifié de :
“fausse science”,
“système totalisant, voire totalitaire”,
“outil de manipulation mentale”,
“gnose moderne”,
“outil de contrôle” menaçant la liberté individuelle…
La critique dépasse de loin l’évaluation d’éventuelles mauvaises pratiques ou dérives locales. Elle condamne l’outil lui-même, en affirmant qu’il n’est pas “éprouvé” ni “scientifiquement fondé” — ce qui, au passage, pourrait être dit de nombreuses approches pourtant largement utilisées dans l’accompagnement ou la communication (MBTI, ProcessCom, profils comportementaux…).
Mais surtout, aucune étude empirique, aucun travail universitaire contradictoire, aucun témoignage de praticien certifié n’est convoqué pour apporter de la nuance. On assiste à une disqualification unilatérale et sans droit de réponse.
Une contributrice au positionnement religieux explicite
Or, Anne Lécu ne peut être considérée comme une experte neutre sur le sujet. En 2023, elle publiait un ouvrage intitulé “L’Ennéagramme, ni catho ni casher”, dans lequel elle développe longuement l’idée que l’Ennéagramme serait incompatible avec la foi chrétienne, en raison de ses supposées origines ésotériques.
Dans ses conférences publiques, elle mobilise :
des références théologiques et morales (le “péché”, la “conversion”, la “vertu chrétienne”),
des arguments spirituels visant à protéger la foi catholique d’un “outil concurrent”,
une lecture très marquée par son appartenance religieuse.
Qu’elle défende ces idées dans un cadre religieux ou personnel est parfaitement légitime.Mais que la MIVILUDES, institution rattachée au Premier ministre et censée incarner la neutralité républicaine, fasse de cette voix la seule parole d’autorité sur l’Ennéagramme dans son rapport… est profondément problématique.
Une alerte sur le mélange des registres
Le problème ici n’est pas que le texte contienne des arguments religieux explicites — ce n’est pas le cas dans le rapport lui-même. Le problème est plus insidieux :👉 c’est qu’une personne dont le combat contre l’Ennéagramme est religieux et idéologique, soit invitée à rédiger une analyse “experte” dans un rapport d’État, sans contextualisation de son positionnement ni ouverture à d’autres points de vue.
Cela crée un biais structurel grave, en contradiction avec :
le principe de laïcité,
le besoin de neutralité institutionnelle,
et le droit à un débat éclairé et contradictoire, indispensable sur un sujet aussi délicat.
Pourquoi je prends la parole
Je n’ai jamais affirmé que l’Ennéagramme était inoffensif, infaillible ou universel.
distinction entre coaching, thérapie et spiritualité,
interdiction du typage “sauvage”,
pédagogie basée sur l’expérimentation, pas la croyance,
charte éthique et cadre laïque.
Mais je refuse que la peur des dérives soit utilisée pour disqualifier des outils entiers ou pour faire taire des pratiques sincères, transparentes et ouvertes, au nom de croisades idéologiques.
La MIVILUDES a un rôle essentiel. Elle doit nous protéger des vraies manipulations. Mais pour le faire, elle doit elle-même se garder de toute influence partisane ou dogmatique.
On ne peut pas combattre les dérives en adoptant une posture elle-même idéologiquement biaisée.
Le développement personnel, l’Ennéagramme, comme tout outil, mérite d’être encadré, pas calomnié. Il mérite un regard lucide, critique… mais aussi juste.
📌 Que la République reste un espace de discernement et de pluralisme, pas un tribunal des croyances déguisé.
L’argument de l’“outil enfermant” : un contresens manifeste
Ce qui rend la contribution d’Anne Lécu encore plus problématique, c’est qu’elle repose sur une déformation flagrante de la philosophie de l’Ennéagramme. Elle affirme que cet outil enferme les individus dans une catégorie, dans une case psychologique ou existentielle, et qu’il favorise une forme d’essentialisme de la personne.
C’est l’exact inverse de ce que l’Ennéagramme propose depuis ses origines.
L’Ennéagramme part du principe que nous avons tous en nous les neuf types de fonctionnement humains, mais qu’au fil de notre histoire, nous avons surinvesti l’un d’eux en réaction à nos expériences, à nos blessures, à notre environnement. Le travail ne consiste pas à s’enfermer dans ce type, mais à en prendre conscience pour s’en libérer, et à réintégrer les autres dimensions de nous-mêmes.
Ce n’est pas un enfermement. C’est une carte pour sortir de l’enfermement.
L’Ennéagramme est un cercle, précisément pour symboliser l’unité de la nature humaine. Il n’y a pas de “bons” ni de “mauvais” types. Il n’y a pas de hiérarchie.
Il y a neuf manières d’interpréter le monde, toutes légitimes, toutes partielles. Et c’est en les explorant que nous devenons plus lucides, plus ouverts, plus humains.
Le rapport affirme que les flèches de l’Ennéagramme nous assigneraient à des voies rigides de régression ou d’évolution. Or, toute personne ayant étudié sérieusement l’outil sait que les flèches ne sont que des dynamiques temporaires de stress ou de confort, parmi d’autres. Et qu’elles ne définissent pas qui l’on est( pusique l'Ennéagramme dit que nous sommes TOUS les profils en réalité dans notre essence humaine).
Quand une contributrice comme Anne Lécu, qui a manifestement lu sur le sujet et vu des conférences, affirme l'exact contraire, il est difficile de ne pas y voir une intention délibérée de dénigrer teinté de mensonge et de mauvaise foi.
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